Gutiérrez Garcia-M., Anna - Rouillard, Pierre (dir.): Lapidum natura restat: canteras antiguas de la península Ibérica en su contexto (cronología, técnicas y organización de la explotación) = carrières antiques de la péninsule ibérique dans son contexte (chronologie, techniques et organisation de l’exploitation), (Documenta, 31), 197 p., ISBN: 978-84-946298-6-0, 63 €
(Institut Català d’Arqueologia Clàssica, Tarragona /Casa de Velázquez, Madrid 2018)
 
Compte rendu par André Buisson, Université Lyon 3
 
Nombre de mots : 2054 mots
Publié en ligne le 2021-03-23
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3740
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          Cet ouvrage est la publication des actes d’une rencontre organisée les 8 et 9 février 2016 à la Casa de Velázquez, dont le propos était principalement d’aborder les problèmes de méthodologie liés à l’étude des carrières de pierre antiques. En effet, à la différence de la pierre dure et des marbres, déjà largement abordés dans les publications, l’étude de la pierre tendre (sculpture) et de la pierre de construction (principalement les calcaires) était quasi absente dans la péninsule Ibérique. Les débats du colloque se sont ainsi centrés sur les techniques de prospection et d’identification des zones d’extraction, sur les formes prises par les carrières, sur les aménagements liés à la mise en œuvre des centres d’exploitation et, dans une approche opposée, sur l’analyse des pierres ayant servi à la construction de grands centres urbains comme Mérida, Tarragone, voire Nîmes ou Marseille, ainsi que celles des sculptures « ibériques ».

 

         La conférence introductive, qui a déterminé en grande partie la problématique du colloque, a été donnée par J.-C. Bessac à partir de son expérience personnelle. Celle-ci s’était centrée sur le territoire de la cité de Nîmes, l’approvisionnement du chantier de l’oppidum d’Ambrussum et l’étude d’éléments lapidaires de Nîmes et de son rempart augustéen. Ainsi, sa recherche a été faite, pour partie, à partir d’une prospection de terrain, et pour l’autre partie, à partir de l’étude pétrographique d’éléments lapidaires conservés dans des musées. La méthode, empirique au départ, s’est particulièrement enrichie de l’expérience de fouille de l’auteur dans la zone des carrières du Bois des Lens (Gard), qui fit l’objet d’une recherche exemplaire dans les années 1973 à 1984. J.C. B. a pu ainsi élaborer une technique de relevé inédite jusque-là, et depuis très largement reprise et diffusée (fiche technique fig. 4, p. 18).

 

         Le premier volet du colloque était centré sur l’analyse des zones d’exploitation de la pierre, avec plusieurs exemples présentés. Pour le territoire de la péninsule Ibérique, ce sont les carrières d’El Ferriol, près d’Elche (Alicante) et celles des environs de Carthago Nova (Murcie) qui font l’objet d’une présentation avec, en regard, les carrières de marbre de Thasos (Grèce). Les études débutent par la recherche sur de vastes zones, par des méthodes qui vont de la prospection pédestre à l’étude des clichés aériens, dans une démarche multi-scalaire. À l’intérieur de chacun des ensembles prospectés et dans chacun des lieux découverts, les auteurs ont remarqué le nombre élevé de sites d’extraction de petite taille (El Ferriol, fig. 5, p. 30 ; Thasos, fig. 1, p. 50), souvent dispersés, reliés entre eux par des chemins « vernaculaires » (El Ferriol, fig. 7, p. 33), ainsi que le faible nombre de sites d’installation des carriers. L’examen des chantiers d’extraction a permis de repérer et d’identifier les traces d’outils et autres témoignages de l’action humaine : les relevés des traces d’extraction de la pierre, notamment la présence des lignes de trous occasionnées par la pose de coins, permet d’identifier l’abandon de certains sites pour des raisons encore inconnues (fig. 7 et 8, p. 44-45). Les auteurs soulignent également la longue durée de l’exploitation, étalée sur plusieurs siècles, et proposent des pistes pour l’identification de la périodisation des chantiers. Le report de toutes ces données dans un SIG apparaît comme la meilleure manière de synthétiser l’ensemble des renseignements. Le titre de la communication « Elche : des pierres et des chemins… » est révélateur de l’intention des auteurs : un ensemble de carrières n’a pu être « mis en exploitation » que par un aménagement global de l’espace, incluant le tracé de chemins, l’aménagement de plateformes de stockage… c’est-à-dire une spatialisation de l’exploitation des matériaux. Dans le cas de Thasos, nous avons affaire à une « production intensive surveillée » (effectuée par des condamnés, des esclaves), qui a nécessité la mise en place d'un véritable « écosystème ». Cette priorité donnée à l’extraction et à l’exportation d’un matériau très demandé et à forte valeur ajoutée peut être comparée avec les productions des marbres de Saint-Béat (Pyrénées, France), surveillées par une garnison basée à Saint-Bertrand de Comminges. Toujours à Thasos, Manuela Wurch-Kozelj avance l’hypothèse de l’abandon de l’extraction sur l’île à la suite d’un séisme.

 

         Le second volet expose les stratégies d’analyse, les méthodes et techniques d’extraction, pour la carrière d’El Mèdol (Tarragone), celles de la Cuenca de Caravaca (Murcie), de la Loma de los Castillejos de Almadèn de la Plata (Séville) et, en regard, celles de la Couronne (Martigues, France)[1] et Nucourt (Val d’Oise, France). Ici, les auteurs procèdent à partir de sites déjà bien identifiés, précisément localisés, où une étude topographico-archéologique a pu être conduite. Sur certains secteurs, une modélisation de l’extraction des matériaux a été proposée (à partir de l’examen des plans de coupe, des traces négatives d’éléments et des traces de chemins marquées dans le paysage actuel). Dans quelques cas, les traces d’outils ont pu être étudiées (techniques soulignées par J.-C. Bessac dans sa thèse, 1986) et ont pu permettre de proposer une chronologie et un séquençage des phases de l’exploitation et de la construction des ensembles architecturaux (rempart de Nucourt, temples de Carthago Nova…). Le cas de Nucourt s’apparente aux « carrières associées à un site militaire » (avec extraction dans le fossé) telles que définies par F. Blary et J.-P. Gély (2020, p. 57 et fig. 45 sq.)[2]. Intercalé entre des études portant majoritairement sur l’Antiquité, ce site médiéval attire l’attention sur les fortes différences de forme et de technique en matière d’extraction par rapport aux méthodes antiques (fig. 6, p. 126 et fig. 10, p. 129). Notons la relative similitude entre l’aiguille témoin conservée dans l’une des carrières d’El Mèdol (fig. 1, p. 69) et celle de la carrière de Glanum, dite « carrière de la Pyramide ».

 

         Enfin, le troisième volet envisage les circuits d’approvisionnement et les usages de la pierre. Après avoir identifié le type de pierre, les auteurs localisent les lieux d’extraction, évaluent les cubages extraits. Parmi les critères retenus par les carriers, il y a celui de la distance et de l’accessibilité : la majorité sont situés à faible distance des lieux d’utilisation – par exemple 12 km en moyenne pour les granits du théâtre de Mérida. Pour les grès de l’Ampurdan, l’existence de la via Augusta a favorisé une utilisation entre le Pertus et Gérone (bornes miliaires, trophée de Pompée). Dans le cas de ces grès arkosiques, le cubage extrait a fait l’objet d’une évaluation aux environs de 40 000 m3 sur les sites de Clots de Sant Julia et de 10 000 m3 dans les carrières situées au nord-ouest de Gérone. Dans le cas du castellum de Formentera, si les carrières sont proches du chantier de construction, le volume extrait de chacune d’entre elles est trop faible pour assurer la construction du monument entier. Pour les deux études sur Thasos et le castellum de Formentera, l’appartenance au domaine insulaire met en évidence une majorité de carrières accessibles par la côte et le matériel transporté par voie maritime (on peut rajouter le cas des carrières de la Couronne, non pas insulaires mais côtières).

 

         L’étude des matériaux de construction du théâtre de Mérida procède d’une démarche différente à la base : elle provient de la nécessité d’assurer des restaurations sur l’édifice ; l’analyse pétrographique a ainsi débouché sur l’identification d’au moins quatre sources d’approvisionnement en blocs de granit (fig. 5, p. 158).

 

         L’analyse pétrographique des ensembles de sculptures dites « ibériques », remarquables, de Porcuna, de Baza et d’Elche notamment, oriente vers une nouvelle recherche dans les carrières d’extraction de ces types de calcaires. Malgré la disparition quasi totale des fronts de taille contemporains de ces extractions, les caractères physico-chimiques des matériaux composant ces groupes sculptés ont permis de désigner des sites sur lesquels on a fait la découverte de sculptures inachevées (fig. 2, p. 140 et fig. 4, p. 143). Les chercheurs notent la différence avec les matériaux de construction et de décoration d’Emporion grecque, provenant majoritairement du Languedoc, alors que le matériau de la sculpture ibérique, majoritairement située au sud de l’Ebre, provient de la péninsule centro-méridionale, avec comme « épicentre » des lieux comme El Ferriol ou Galera.

 

         La dernière étude donne à réfléchir sur l’apport important des archives et témoignages écrits « modernes » sur l’exploitation du calcaire d’Espejon et son utilisation dans la longue durée (cela avait également été relevé pour la ville d’Elche, avec les archives de la construction de la cathédrale Santa Maria, p. 26). Les carrières identifiées à partir de l’analyse pétrographique d’échantillons prélevés sur plusieurs sites augustéens, prospectées et bien localisées, reçoivent une confirmation de leur importance dans les archives royales espagnoles, grâce à l’intérêt que leur portèrent les sculpteurs pour la décoration du palais royal après l’incendie de 1734 et les ordonnances de Ferdinand VI qui dénomment ces pierres les « marmoles del Rey ».

 

         Toutes ces études ont en commun de s’appuyer sur une prospection pédestre minutieuse des territoires ainsi que sur une analyse pétrographique précise (lames minces) des échantillonnages (les granits du théâtre de Mérida, par exemple). Outre leur texte, les auteurs produisent des illustrations d’une grande variété : photographies des zones d’extraction, des lits de pierre (par exemple fig. 3 p. 87, fig. 2 p. 113, fig. 4 p. 116…), des lames minces, des photographies aériennes, des photogrammétries, des images Lidar et des modèles numériques de terrain (MNT). Les bibliographies sont abondantes, font montre d’une recherche très avancée sur chacun des secteurs étudiés et se complètent en ne se recoupant que très rarement (en dehors des « classiques »).

 

         L’ouvrage est donc une belle réussite, même si, dans la forme, jusque dans l’avant-propos, il aurait mérité une relecture plus attentive (coquilles, répétitions de mots…).

 

 


[1] Nous avions rendu compte de la publication des carrières de La Couronne (http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2193⟨hal-02447979⟩)

[2] François Blary, Jean-Pierre Gély, Pierres de construction, de la carrière au bâtiment, Paris, CTHS éd., 2020, Compte rendu dans  Géocarrefour [En ligne], mis en ligne le 20 janvier 2021, URL : http://journals.openedition.org/geocarrefour/16850


 

 

 

Sommaire

 

Anna Gutiérrez Garcia-M., Pierre Rouillard, Présentation, 7

Jean-Claude Bessac, Carrières antiques méditerranéennes : élaboration d’une recherche, 9

 

I. Zonas de explotación y territorios: estrategias de análisis, métodos y técnicas de estudio global / Espaces d’exploitation et territoires: stratégies d’analyse et méthodes pour une étude globale, 23

Laurent Costa, Jesús Moratalla Jávega, Pierre Rouillard, Elche (Alicante) : des pierres et des chemins. Une démarche multi-scalaire pour comprendre l’organisation et la structure des carrières de El Ferriol, 25

Juan Antonio Antolinos Marín, José Miguel Noguera Celdrán, Begoña Soler Huertas, La actividad extractiva en las canteras del entorno de Carthago Nova, 37

Manuela Wurch-Kozelj, Les carrrières antiques de marbres à Thasos. Des vestiges à la notion d’écosystème, 49

 

II. Ejemplos de estudios de Tarragona a la Cuenca de París: estrategias de análisis, métodos y técnicas / Exemples d’études de Tarragone au Bassin Parisien : stratégies d’analyse, méthodes et techniques d’extraction, 65

Anna Gutiérrez Garcia-M., Jordi López Vilar, La cantera de El Mèdol. Técnicas, organización y propuesta de evolución de la extracción del material lapídeo, 67

Francisco Brotóns Yagüe, Sebastián F. Ramallo-Asensio, Canteras antiguas en la cuenca de Caravaca (Caravaca de La Cruz – Región de Murcia – España), 81

Ruth Taylor, Análisis formal de las evidencias de explotación antigua en la Loma de los Castillejos de Almadén de la Plata (Sevilla), 95

Cecila Pedini, L’étude des carrières : une approche nécessairement pluridisciplinaire. L’exemple des carrières de La Couronne (Martigues, Bouches-du-Rhône), 109

Céline Blondeau, L’étude des traces d’outils et modes d’extraction des carrières de Nucourt (Val d’Oise, Île-de-France, France). La clef de lecture des dynamiques d’une construction médiévale (Xe-XIe siècle), 121

 

III. Organización del aprovisionamiento y usos de la piedra / Organisation de l’approvisionnement et usages de la pierre, 135

Teresa Chapa Brunet, María Belén, Jorge García Cardiel, De la cantera al taller escultórico ibérico. Un camino dificil de recorrer, 137

Antonio Pizzo, María Isabel Mota, Rafael Fort, Mónica Álvarez de Buergo, Las canteras de Augusta Emerita. Identificacion de los materiales y primeros datos sobre la relacion con los edificios de espectaculo: el teatro romano, 149

Carles Roqué Pau, Xavier Rocas Gutiérrez, La formación Folgueroles (Bartoniense) como recurso lítico en época ibérica y romana. Caracterización petrológica, canteras, uso y difusión territorial en el NE de la península ibérica, 161

Ricardo González Villaescusa, Jordi H. Fernández, Gilles Fronteau, Patricia Vázquez Le castellum de Can Blai (Formentera, Baleares). La pierre de taille et les carrières de marès., 173

Virginia García Entero, Anna Gutiérrez Garcia-M., Eva Zarco Martínez, Las canteras de calizas y conglomerado de Espejón (Soria). Evidencias arqueológicas y la documentación escrita, 185