Pasquier, Alain - Martinez, Jean-Luc (dir.): Praxitèle. Exposition, Paris, musée du Louvre, 23 mars - 18 juin 2007 / sous la dir. d'Alain Pasquier et de Jean-Luc Martinez ; textes de Michel Amandry, Michael Benet, Geneviève Bresc-Bautier, et al. - 456 p. : ill. n. et coul. ; 30 cm. 39 euros.
(Paris, Musée du Louvre Éditions : Somogy 2007)
 
Compte rendu par Lorenz E. Baumer
 
Nombre de mots : 2444 mots
Publié en ligne le 2007-04-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=90
Lien pour commander ce livre
 
 

Le propos de l’exposition sur Praxitèle – qui a ouvert ses portes en mars 2007 au Musée du Louvre pour une durée de trois mois – était de « mettre en évidence les différents visages qu’on lui a prêtés depuis le IVe siècle avant J.-C. jusqu’à nos jours » (p. 14), dans un parcours qui comprend l’époque de l’artiste lui-même, les siècles hellénistiques et romains ainsi que le XIXe siècle. Le catalogue, ouvrage magistral et richement illustré de 456 pages, offre beaucoup plus : il est une prise de position, guidée par la prudence, qui cherche l’équilibre entre les tendances divergentes de la recherche actuelle, d’un côté l’enthousiasme positiviste d’Antonio Corso qui continue de proposer une liste constamment grandissante de types statuaires « praxitéliens » (p. ex. dans The Art of Praxiteles, The Development of Praxiteles’ Workshop and its Cultural Tradition until the Sculptor’s Acme [364-1 BC] , Rome 2004), et de l’autre côté le scepticisme extrême de Brunilde Sismondo Ridgway, qui n’accepte que l’Aphrodite de Cnide comme la seule œuvre plus ou moins assurée du grand maître (p. ex. dans Fourth-Century Styles in Greek Sculpture, University of Wisconsin Press 1997, 261-267) : « Entre ces deux positions, nous essaierons donc de nous frayer un chemin en associant, autant que c’est possible, la raison et la foi. Sans être jamais sûrs de rien, nous dirons ce qui nous paraît probable ou seulement possible, aussi ce qui est pure invention, sinon divagation » (p. 14).

Il est clair qu’une entreprise pareille ne se réalise pas sans quelques inconséquences, mais procédons dans l’ordre : le catalogue s’organise en cinq chapitres (ou plutôt : sections) chronologiques. Le premier (« Un sculpteur athénien du IVe siècle avant J.-C. », pp. 16-59) résume les données biographiques de Praxitèle, né autour 400 av. J.-C. et citoyen d’Athènes, dont le floruit d’après Pline l’Ancien se place dans les années 364-361 av. J.-C. et qui mourut d’après le témoignage des inscriptions peu avant 326 av. J.-C. De plus est présenté par Jean-Luc Martinez un bilan critique des sources littéraires et des très rares documents épigraphiques (cat. 1-2), aisément complété par une collection des principales sources littéraires en traduction dans les annexes (pp. 423-428), qui constate que « le croisement entre les témoignages littéraires et les inscriptions (...) n’est en effet que très exceptionnellement possible » (p. 29). La liste recensée des œuvres attribuées à Praxitèle par des sources écrites comprend soixante-quatorze entrées dont seulement sept sont classées comme des « propositions les plus assurées », et même celles-ci ne vont pas sans objections (pp. 32-44). Les sujets du sculpteur – avec une préférence pour Aphrodite et le cercle de Dionysos – « sont révélateurs d’une époque plus que le choix d’un sculpteur ou de sa clientèle » (p. 45).

Le deuxième chapitre (« Praxitèle retrouvé », pp. 60-127) débute avec un résumé par Philippe Jockey du « débat sur la polychromie » de la statuaire antique pendant les 18e et 19e siècles (pp. 62-81) qui se termine par une présentation des technologies photographiques et physico-chimiques de nos jours permettant de détecter les moindres restes de couleur sur les marbres antiques. On hésite un peu à suivre l’enthousiasme de l’auteur (« La polychromie de la sculpture en marbre n’échappera plus très longtemps à une telle technologie », p. 81), mais restons curieux des futures découvertes. Par contre – cela est une des rares lacunes du livre, vu la masse des copies romaines qui restent forcément notre source principale – il manque un chapitre sur les techniques antiques qui permettaient de copier (et de modifier !) des types statuaires.

Dans ce même chapitre, Alain Pasquier présente une revue critique des statues qui ont été considérées comme des originaux possibles de Praxitèle (p. 82-127). Guidé par une prudence à saluer, il rejette la plupart des propositions comme p. ex. les spéculations « téméraires » (sic !) de Paolo Moreno sur le Satyre de Mazara del Valle (cat. 72) qui voulut y voir le Satyre Périboétos de Praxitèle, ou l’Ephèbe de Marathon (cat. 17), à considérer sans doute comme une œuvre éclectique d’époque impériale. D’autres, comme la tête originale du musée de l’Acropole d’Athènes (cat. 24) que G. Despinis proposa d’identifier comme celle d’une statue (de culte ?) de l’Artémis Brauronia par Praxitèle, sont acceptées d’une manière hésitante, non sans mentionner que l’œuvre ne s’intègre que très mal dans ce qui est considéré en général comme le style de Praxitèle, même si « on peut bien sûr dire qu’un artiste a le droit de changer de ton » (p. 104). La même ambiguïté vaut pour l’Hermès d’Olympie (cat. 20-21, moulages), à propos duquel l’auteur se borne à « rappeler tout ce qui milite en faveur de l’attribution de l’œuvre au sculpteur et tout ce qui peut être invoqué pour l’exclure » (p. 100) – en penchant vers cette deuxième possibilité.

Le chapitre suivant (« Praxitèle. Un choix romain », p. 128-291) commence par une revue des « Aphrodites de Praxitèle » par Alain Pasquier (p. 120-201). Pour la Vénus d’Arles (cat. 28), il refuse d’une manière justifiée la datation du type statuaire de B.S. Ridgway (loc. cit. p. 264) vers la fin du Ier siècle av. J.-C. et revient – comme la plupart des chercheurs – à l’ancienne proposition d’Adolf Furtwängler qui le plaça au début des années 360 av. J.-C. L’œuvre la moins disputée est certainement l’Aphrodite de Cnide qui « est, avec le Zeus d’Olympie, la statue la plus fameuse de l’Antiquité grecque et romaine », même s’il « est difficile de retrouver l’image claire et précise de la création originelle » (p. 139 et 141). Pour la question de savoir si le type statuaire est mieux traduit par la copie dite Vénus Colonna (fig. 100 et cat. 36) ou plutôt par les répliques Vénus du Belvédère (cat. 34) et Aphrodite Braschi (fig. 103), l’auteur déclare qu’il « nous paraît illusoire de vouloir choisir à tout prix entre ces deux marbres romains » (p. 143) – un problème important et ouvert que nous ne pouvons pas aborder dans le cadre de ce compte rendu. S’ajoutent des paragraphes qui traitent de l’influence de Phryné, modèle et fameuse maîtresse de Praxitèle, sur la statue (« on ne voit guère dans ce type statuaire, ni dans l’anatomie ni dans la physionomie, de caractères résolument individuels », p. 144 s.) et de la postérité de la « Cnidienne », un vaste champ qui inclut la Vénus du Capitole (fig. 106), la Vénus Médicis (fig. 109) et le groupe hellénistique d’Aphrodite et de Pan de Délos (fig. 110). Une mention particulière est réservée à la Vénus de l’Esquilin (cat. 89) qui a été récemment identifiée comme Cléopatre VII par B. Andreae (Kleopatra und die Caesaren, Catalogue d’exposition Hambourg 2006, no. 1, p. 14-47, fig. 1-5, 8 et 26-27 : http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=27 ), proposition peu convaincante et aussi refusée par A. Pasquier.

Le deuxième cas exemplaire, l’Apollon Sauroctone (p. 202-235) est présenté par Jean-Luc Martinez, qui ajoute à la bonne quarantaine de répliques en marbre et en bronze un exemplaire auparavant inédit de la collection Richelieu qui est instructif pour l’histoire de l’identification du type statuaire (cat. 58). Encore plus importante sinon sensationnelle pourrait être une statue en bronze au Musée de Cleveland, présentée par Michael Bennett (pp. 206-208 fig. 126a) et qui n’a pas pu être montrée à Paris à cause des objections des autorités grecques. L’auteur suggère qu’il pourrait s’agir d’un original du IVe siècle et donc de « l’unique grand bronze grec que l’on peut attribuer à un grand maître », ce qui n’est en principe pas à exclure. Mais en considérant la musculature nettement formulée qui donne un aspect classicisant (« polyclétéen ») au corps, et d’après le peu des détails qu’on peut voir sur les photographies actuellement publiées (http://www.clevelandart.org/exhibcef/apollo/html/index.html), il me semble au moins possible sinon plus prudent de regarder ce bronze comme une fonte de haute qualité du début de l’époque impériale voire augustéenne. De plus, un joint cassé sur la jambe droite (visible sur http://www.clevelandart.org/exhibcef/apollo/html/3132193.html) indique que l’Apollon Cleveland avait son bras droit suspendu, ce qui le sépare des répliques en marbre où l’avant-bras est d’habitude avancé pour viser avec une flèche un lézard, motif qui a donné au type statuaire son surnom. – Pour la datation de l’Apollon Sauroctone, la possible création à l’époque impériale, proposée par B.S. Sismondo et A. Ajootian, est vigoureusement refusée par J.-L. Martinez (p. 212). Le catalogue qui comprend une série de répliques, d’adaptations et de variantes (cat. 50-59) est complété par une liste utile des répliques du type de l’Apollon Sauroctone (p. 215).

Dans le sous-chapitre suivant, Jean-Luc Martinez évoque les problèmes des satyres de Praxitèle et se concentre sur l’étude des deux types statuaires du Satyre au repos et du Satyre verseur (pp. 236-271). En accord avec le principe général de l’exposition et son catalogue (voir plus haut), il conclut « que rien ne s’oppose à ce que Praxitèle soit l’inventeur du prototype du Satyre au repos, mais que rien ne le prouve non plus » (p. 247), confirmant la datation de l’original dans les années 340-330 av. J.-C. Pour le Satyre verseur, qu’il attribue au « cercle praxitélien », l’auteur propose de descendre la datation traditionnelle de 370-360 av. J.-C. d’un demi-siècle à cause des reprises du motif (sans parler du type statuaire !) sur les reliefs votifs de la fin du IVe siècle. L’argumentation ne convainc pas, du fait que nous ne possédons que peu de reliefs de la première moitié du siècle et qu’elle obligerait à changer notre notion du développement stylistique de la sculpture grecque du IVe siècle d’une manière trop profonde.

Le quatrième chapitre (« Praxitèle après Praxitèle », pp. 292-359), présenté de nouveau par Jean-Luc Martinez, essaie de donner une impression des divers styles « praxitélisants » (un néologisme qui nous semble être assez heureux en complément du terme « praxitélien ») aux époques hellénistique et romaine, en présentant une série de types statuaires comme la Diane de Gabies (cat. 73), la Coré de Florence (fig. 298) ou la Grande et la Petite Herculanaise (cat. 76-77) qui sont tous écartés de l’œuvre de Praxitèle par prudence, ainsi que des pastiches et citations de l’époque romaine comme le Groupe de San Ildefonso (fig. 220) ou l’Éros de Centocelle (cat. 94 fig. 225). Il va de soi que l’approche reste provisoire au vu de la quantité de matériel, et on pourrait déplorer de nouveau que la question des ateliers des copistes romains et de l’intégration des copies dans les ensembles architectoniques de l’époque (qui influençaient la sélection et une possible adaptation du type statuaire) n’aient été pas considérés explicitement.

Dans le dernier chapitre (« Praxitèle : Un mythe du XIXe siècle ? », p. 360-422), Édouard Papet s’occupe d’une part de la réception de Phryné dans l’art et l’esthétique en général du 19e siècle, et d’autre part de l’influence de Praxitèle sur la sculpture française de l’époque. Phryné, qui fut sauvée d’une condamnation par son avocat qui dévoila sa beauté devant les juges, qui n’osèrent pas ensuite porter la main sur cette image de déesse, s’inscrit avec Laïs, Aspasie et Sapho dans l’imaginaire des courtisanes et poétesses antiques chez les artistes de la seconde moitié du XIXe siècle. Ne citons ici que la peinture de Jean-Léon Gérôme de 1861 qui montre Phryné devant l’Aréopage (cat. 101) ou la Phryné en marbre de Paros de James Pradier de 1845 (cat. 98). L’auteur démontre que les artistes s’intéressaient plus au corps de l’hétaïre qu’au modèle de Praxitèle – à la « plus jolie femme de Paris » : « Le glissement de statut est irrévocable : une ‘Phryné’ parisienne est une courtisane moderne, souvent luxueuse, telle Nana qui connaît différents états » (p. 371). Dans le deuxième sous-chapitre, E. Papet montre clairement que « Praxitèle connut au XIXe siècle le paradoxon d’une belle fortune et d’une grande confusion, voire le soupçon d’usurpation, lié à l’absence d’originaux » (p. 295). Au contraire de Phidias, qui projeta son ombre, Praxitèle « ne trouva pas de Simart ni de duc de Luynes » et ses œuvres, même si estimées par le public, passaient dans la seconde moitié du siècle pour de la « sculpture de boudoir ». Reste la conclusion que « Praxitèle ne fut donc pas l’émancipateur de la sculpture française, mais probablement la grande figure du passé qui permit l’assouplissement des règles » (p. 400), pour ne citer qu’une seule phrase d’un chapitre qui dépasse les compétences de l’auteur de ce compte rendu.

Le catalogue sur Praxitèle se termine avec une note finale d’Alain Pasquier (pp. 416-422), qui déplore d’une part l’intérêt déclinant de notre époque pour la sculpture grecque et romaine, d’une époque « dont la culture se nourrit de moins en moins aux racines de l’Antiquité classique ». D’autre part, il revient sur le sujet de l’exposition en essayant de définir l’art de Praxitèle et présente un sommaire sensible et différencié dont la lecture est recommandée à l’attention des lecteurs et qui n’a pas pour cette raison besoin d’être cité en détail.

L’ouvrage, qui doit être recommandé non seulement aux visiteurs de l’exposition, mais aussi aux spécialistes et aux amateurs de la sculpture grecque et romaine, est complété par une vaste bibliographie et un index (pp. 429-455).

Postscriptum : Une dernière note critique, qui ne change rien aux mérites de la publication et de l’exposition concerne la documentation photographique : la majorité des sculptures n’est reproduite que par une seule image et souvent sous un angle de vue un peu aléatoire, ce qui rend la comparaison détaillée des répliques difficile sinon impossible ; pour ne citer qu’un seul exemple : les répliques de la tête de l’Aphrodite de Cnide dites Tête Kaufmann (cat. 37) et Tête de Martres-Tolosane (cat. 39), même si elles sont reproduites chacune par deux photographies, ne se correspondent sous aucun angle de vue.

Table de matières :

p. 10 : Préfaces

p. 12 : Exposer Praxitèle, Alain Pasquier

p. 16 : Chapitre I : Un sculpteur athénien du IVe siècle avant J.-C.

p. 18 : Éléments de biographie, Alain Pasquier

p. 28 : Les œuvres attribuées à Praxitèle, Jean-Luc Martinez

p. 60 : Chapitre II : Praxitèle retrouvé

p. 62 : Praxitèle et Nicias, le débat sur la polychromie de la statuaire antique, Philippe Jockey

p. 82 : Praxitèle aujourd'hui ? La question des originaux, Alain Pasquier

p. 128 : Chapitre III : Praxitèle. Un choix romain.

p. 130 : Les Aphrodites de Praxitèle, Alain Pasquier

p. 202 : L'Apollon Sauroctone, Jean-Luc Martinez, avec la participation de Michael Bennett

p. 236 : Les Satyres de Praxitèle, Jean-Luc Martinez

p. 292 : Chapitre IV : Praxitèle après Praxitèle

p. 294 : Les styles praxitélisants aux époques hellénistique et romaine, Jean-Luc Martinez

p. 360 : Chapitre V : Praxitèle : Un mythe au XIXe siècle ?

p. 262 : Phryné au XIXe siècle: la plus jolie femme de Paris ? Edouard Papet

p. 394 : « L'art a des exigences et des dédains que l'archéologie ne connaît pas. » : Praxitèle et la sculpture française de la seconde moitié du XIXe siècle, Edouard Papet

p. 416 : L'art de Praxitèle, Alain Pasquier

p. 423 : Annexes

p. 423 : Principales sources littéraires antiques mentionnant Praxitèle et ses œuvres

p. 429 : Bibliographie

p. 446 : Index

p. 456 : Crédits photographiques